R. Depardon - P. Virilio : Terre natale - Ailleurs commence ici
Fondation Cartier, Paris
décembre 2008, par
Nous allions voir "une exposition Depardon" les yeux fermés. Célèbre pour son regard scruteur, ses prises de pouls de la planète. Nous nous attendions à comprendre un peu plus du monde vaste et divers.
On nous annonce, à l’entrée, qu’il s’agit d’installation, de vidéo... Il y aura très peu de photos de Depardon. Déception...
L’exposition portait sur les cultures en déracinement et les mouvements humains sur terre.
Ceux qui étaient filmés, comptabilisés, mis en lumière par ces Monseigneurs de la culture, Raymond Depardon et Paul Virilio, n’assisteront jamais à une telle mise en scène. Numérisée, cette humanité souffrante version numérique, n’a plus d’odeurs, et peut alors tranquillement s’épancher dans la propre et luxueuse Fondation Cartier, visitée par les parisiens humanistes.
Des visiteurs qui lisent la radio et écoutent en boucle la fin du monde, la misère et l’exploitation... Ils connaissent la problématique évoquée ici. Nous ne parlerons pas alors de vulgarisation... Non, il s’agit d’Art....
Dans la grande salle du bas, une trentaine d’écrans plats forme une salle des pas perdus, énumère une humanité en mouvement. Des micro-séquences du journal télévisé se déclenchent sporadiquement, pointillisme, fractales. Des gens prennent des trains, voyagent, émigrent... Nous même nous naviguons, à vue, et rien n’attire particulièrement le regard. Ca bouge, ça clignote mais le propos semble se réduire à la technique, à l’esthétique...
A côté, une animation en chiffres et en 360 degrés nous présente les flux de populations dans le monde à partir de 1995, les transferts financiers entre les pays, les exodes, les catastrophes naturelles et humaines, et nous montrent, calcul à l’appui que l’exil semble être la perspective de l’humanité... L’installation est un peu froide. Toute cette belle technologie au final ne nous dit rien de plus que ce qu’on ne sait déjà,... que les plus démunis face aux crises sont les plus démunis, que les réfugiés climatiques seront de plus en plus nombreux, surtout venus des pays du Sud. On aurait pu s’en douter. On s’en doutait d’ailleurs.
La critique reste floue, vague. Pas un mot sur les crachats de l’industrie. Le mot "croissance" n’est pas évoqué, du moins pas dans notre souvenir. Où est la remise en cause ? Si ce n’est pas le but, qu’est-il ? Pas un mot sur les alternatives. Exposent-ils pour nous dire que c’est inévitable ?
A l’étage, un film, "Donner la parole", où Depardon nous présente quelques "bons sauvages", Bretons ou Mapuches. Là encore, ça va trop vite, ça dit pas assez. Nous restons sur notre faim. Petits clips de la misère ordinaire. Cultures oubliées, anéantis et qu’on interviewerait dans un dernier souffle. Pour qui ? Pourquoi ? Pour les archives ?
Dernier morceau : "Le tour du monde en 14 jours"... On touche là au sommet de la vacuité... On est dans un réalisme fade, une scène de plage à Honolulu et au Cap, une scène de rue à Singapour et à Hô Chi Minh-Ville..., des scènes, crues, sans mise en scène... Grands écrans pour petits propos. Où est la distance qui fait l’art ?
C’est donc sans surprise que nous visitons cette exposition bien agencée. Nous sortons de là ni perturbé, ni admiratif, ni ému. Nous sortons de là, comme on sortirait d’une conférence éculée sur le développement durable, avec pour preuves quelques chiffres et des vidéos, avec le sentiment d’avoir déjà vu cela, sur Arte, pour ne pas dire sur d’autres chaînes, moins fréquentables.
Nous nous attendions à mieux de la part de Depardon. A-t-il abandonné son rôle de lanceur d’alerte ?