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MyFest ou le 1er mai à Berlin : chorégraphie Sauvage

mercredi 9 mai 2007, par Christophe, Martha

Si le 1er mai est un événement international célébré partout dans le monde, il est néanmoins décliné selon les pays et leurs culture révolutionnaire. Les goûts et les couleurs... A Paris, les cortèges syndicaux font un tour de piste, histoire de ne pas oublier la révolution permanente. Au Paraguay, les patrons invitent les salariés au barbecue, à Djakarta, à Pékin, à Bangkok, à Moscou, on lutte, on crie, on brandit... et à Berlin ? Visite guidée d’un premier mai à Berlin.

En Allemagne, on écrit beaucoup sur le premier mai. C’est un événement attendu. Depuis le premier mai 1987, la barricade à Berlin est aussi traditionnelle que les marchés de Noël en décembre. On joue à se faire peur avec : c’est très dangereux, la police embarque tout le monde, tout est possible, on casse tout, c’est le pugilat,...bref, les médias aiment cela. Nous partons donc voir cette curiosité touristique.

Le rendez-vous est précis : Kreuzberg, quartier turc et alternatif de Berlin, sans que l’un soit lié à l’autre. La vie de famille dans la « petite Istanbul » ne se résume pas qu’à Papa-Maman et les enfants, allez donc faire un tour à Regen Bogen Fabrik, la fabrique d’arc-en-ciel.

Nous venons le matin, sans pour autant croire que les révolutionnaires se lèvent de bonne heure. Kreuzberg est pourtant en fête : MyFest. Les barbecues diffusent leurs fumées et leurs fumets comme sur la place Jam El Fna à Marakech. Les familles turques mangent et vendent des grillades, des boissons, des pâtisseries, un peu de solidarité, des danses bras dessus-bras dessous. Des concerts sont organisés : ska, reggae, violons irlandais, violons tsiganes, violons country, chanteur à l’eau de rose, rap, punk... Il y en a pour tous les goûts, et chacun mange sa saucisse, boit sa bière et profite du soleil. Bratwurst statt Revolution, titrera TAZ, journal de gauche engagé, le lendemain.

Plusieurs manifestations traversent la foule : contre la guerre, contre la dictature Iranienne, contre l’emprisonnement d’Abou Jamal, contre le capitalisme, l’impérialisme, le nazisme, le fascisme, des textes en Turc, en Kurde, en symboles... En Allemagne, on ne peut être de gauche sans être antifa et internationaliste. La lutte anti fasciste est présente jusque dans les discours des verts.C’est une préoccupation majeure. On entend beaucoup : « à bas l’Allemagne », « à bas la Fédération »...ça crie, ça gesticule, ça s’égosille, ça postillonne, ça pétitionne. Les jeunes se font leur premières dents au micro politique, lisant et arrangeant les foules qui paressent au soleil. Au pire on finira son discours par : « à bas le capitalisme », et tout le monde applaudira.

Assis dans l’herbe, nous écoutons les discours aux côtés de jeunes, nonchalants et vautrés en habits des années 70. Leur philosophie semble être : « rester lascif dans toutes les situations, même si une bombe explose à côté de nous ». Des Punks pavanent leurs crêtes comme les coqs d’un poulailler, des jeunes gauchistes affichent leurs tee shirt à contestation, la lutte est douce au soleil.

La grande manifestation part le soir. Rendez-vous à Lausitzer Platz, au pied de l’église Emmaüs, lieu de pèlerinage des révolutionnaires chaque année pour la Krawall de mai. Les camions à sono des anarchistes antifa sont rassemblés. Les jeunes speakers échauffent les oreilles des jeunes qui sont venus pour la sensation sauce politique. Ils ont des comptes à régler avec la police. On crie à l’injustice en mémoire des personnes arrêtées les années précédentes, on raconte comment détecter les flics en civile, on appelle à la révolution et pas à la réforme. Tout est raison du soulèvement : la guerre, le capitalisme, la pauvreté, la lutte anti-terroriste, l’État, les entreprises... et tous ces maux se cristallisent dans une institution et une seule : LA POLICE. Elle sera la cible de la rage qui doit et qui veut sortir. La révolte des banlieues en France est érigée en modèle. On appelle à suivre l’exemple Français. L’État de guérilla urbaine est souhaité.

Dans la foule, les jeunes sont habillés guerrier : tout en noir avec lunettes de soleil et capuche, tenue de camouflage. Les indications sont claires : surveillons la police qui nous surveille. L’arme : le téléphone portable et les appareils photos qui doivent démontrer les excès policiers. Chacun sera espion, curiosité de la lutte antifasciste : « surveillons ceux qui nous surveillent ».

Le cortège s’ébranle, marche vite, on a hâte d’en découdre. Dans le cortèges : les antifa, les anti G8, quelques clowns et les groupes de défense des squats et des espaces ouverts qui se voient mourir et disparaître les uns après les autres, disséminés par la peste de la spéculation immobilière. Au fond la revendication la plus profonde est celle de pouvoir rester et de maintenir un mode de vie particulier. Un mode de vie qui veut s’étendre et s’écouler à son rythme, incompatible avec la rentabilité, le plan épargne logement, le prêt immobilier à taux flottant... de tout cet amas vague, dont ils ne veulent pas être. Si la révolution à Kreuzberg ressemble plus à un espace de défoulement qu’à une révolution, elle n’en porte pas moins des revendications très profondes. Ce sont bien deux visions du monde qui s’affrontent : ceux qui veulent contrôler l’espace par des rapports de dépendance financière contre ceux qui veulent contrôler l’espace par des rapport de coopération. Si les premiers ont gagné dans le bras de fer, les seconds ne s’avouent pas vaincus, et qui sait ce que l’avenir apportera.

Vers 21h15, les affrontements commencent. Les manifestants se rassemblent, la tension monte, des cailloux sont lancés sur les policiers, qui répondent d’arrêter sinon ils répondront. Mais les bouteilles continuent de voler. Les policiers mènent alors les premières insertions. Des houles, des mouvements de foules. D’un côté de la rue des jeunes qui lancent tout ce qu’ils trouvent, de l’autre le cordon policier. Des blessés. Les secouristes casqués ne peuvent y accéder. Un jeune affolé de voir son ami saigner, court aux secours et supplie un policier d’intervenir. Mais demander l’aide d’un policier est interdit dans la loi de la guérilla urbaine. Un autre jeune lui saute dessus pour le tabasser. Combat d’honneur, car les policiers maîtrisent immédiatement la situation, mais l’honneur des manifestants est sauve : on n’appelle pas à l’aide aux policiers lorsqu’on les combat.
Au cœur de la bagarre, on brûle ce qu’on trouve, un petit bout de barricade se met en place, mais la rixe a été préparée, et tout a été retiré de la rue. Rien qui ne puisse s’arracher. Résultat : la barricade ne dépasse pas un petit tas.

Nous regardons et courons lorsqu’il le faut, pour ne pas nous prendre des coups de foule dans le ventre et des coups de bouteille dans la tête. L’adrénaline est forte. Je demande à l’homme à côté de moi, que veulent ces gens qui veulent tout casser. Il me répond qu’ils sont au chômage, et que c’est cela le problème. Lui est irakien, dans son pays on se bat avec des vrais armes et avec des vrais morts. Ici c’est presqu’un jeu. Mais il comprend cette rage et cette souffrance sociale. Lui-même peine à se faire employer.

En face du cordon de policiers, un jeune en maillot de foot, montre ses fesses et balance tout ce qu’il peut. Anarchistes et hooligans, sont-ce les mêmes rages et les mêmes peines qui entraînent dans la violence.
Les plus enragés sont repliés sur Heinrich Platz et bloqués par les rues en étoiles toutes cernées par des escadrons de policiers. Pourquoi avoir choisit un endroit aussi facile à maîtriser pour la police et pas les grandes allées ouvertes du Tiergarten ? Parce que c’est là le cœur de la souffrance, Kreutzberg, c’est là le bateau qui coule et les capitaines se noieront avec.

Dans une rue adjacente, un concert a lieu normalement tandis que les policiers chargent. Des punks boivent des bières, vont faire la nique à la police puis reviennent. Par la fenêtre une commère essaie d’éteindre un feu de poubelles avec un seau d’eau.

La chorégraphie des policiers se développe lentement. Une section de dix part au feu, cernée de toute part, choppe un énervé et repart, un autre escadron la relaie. Ils reçoivent pierres, bouteilles, molestation, injures. Tout le monde leur est hostile, mais tout le monde n’est pas agressif à leur égard. Ils retirent les éléments les plus violents de la manifestation, un à un, comme des fruits mûrs, sans provoquer plus de violence qu’il y en a. Ils s’enfoncent-reculent. La valse va-et-vient entre les manifestants et les policiers, comme une partie d’échec où les policiers devraient prendre le roi sans toucher les pions. Beaucoup de gens en effet sont là en observateur, pour le frisson, mais aussi pour observer la police, pour polisser la police.

Le cœur de la révolte se vide peu à peu de sa vigueur. Nous traversons la foule qui se fait de plus en plus dispersée. Un mannequin pose pour un photographe, profitant des spots des policiers pour faire de la mode-post-émeute. Beaucoup de petits malins se font prendre en photo devant les feux pour dire ensuite : j’y étais.

Plus loin de petits concerts animent les coins de rue, comme des phares. Au loin la houle et le balai des policiers et des bagarreurs essuie la tempête. Berlin repose en paix.