L'AIRE DE RIEN
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Les FARCs l’appellent l’idole des Français

vendredi 7 juillet 2006, par Isadora Khan

Les combats idéologiques font rage. Toutes les ruses sont bonnes pour supplanter les adversaires. Mais un consensus existe : il faut séduire les foules. Et la Femme est la meilleure arme. Car sans égérie, sans vierge Marie, sans Reine Mère, point de lait pour les âmes amères.

En ces temps de bataille d’image, les chargés de communication des FARCs ont réussi un formidable tour de force : se remettre sur le devant de la scène. Par quel moyen ? Au moyen d’une femme, Ingrid Bétancourt, retenue depuis 4 ans par les insurgés. La déclaration "Ingrid Bétancourt va bien" [1] a été une bombe médiatique.

Il faut dire qu’entre la coupe du monde de foot et Ségolène Royal, on en arrivait presque à oublier les FARCs.
Mais le féroce combat de l’armée du peuple a vite repris ses droits sur ces vulgaires jeux de cirque pour citoyens ramollis. Les FARCs ont choisi de faire vibrer les foules avec d’autres armes. Ils ont choisi la voie de l’authentique, afin de rejoindre le Panthéon des hôtes anthiques, ces armées mythiques, emmenées un jour par Spartacus (version populaire) ou par Agamemnon (version royaliste). Et, il faut bien le reconnaître, la capture d’Ingrid Bétancourt opère cette alchimie de l’épopée. Hélène, la Colombienne. La Colombine des carabines. Oui, les FARCs, leur captive mythique, nous font battre au rythme angoissant de leur lutte.
La belle esclave, enfant chérie des maires de France se nomme ainsi : Ingrid Bétancourt.
Couronnée Citoyenne d’honneur de quelques 1469 communes en France, Ingrid est l’exilée qu’il faut délivrer.

Les villes de : Saint-Marcellin, Cognin les Gorges, La Féline, Saint-Restitut, Rions, Pouilly-les-Nonains, Montcuq, Néant-sur-Yvel... et bien d’autres encore, n’ont pas hésité à accrocher le portrait de leur princesse dans la salle du conseil. Les plus dévolus sont allés jusqu’à accrocher, sur la façade de leur mairie, le doux visage de cette sainte mère des Maires. Son regard bienveillant sanctifie leur demeure et en fait un lieu de pélerinage. Tous veulent ainsi marquer leur entière adoration et leur plus pur amour à leur idole, symbole de la lutte pour la Liberté.
Et ainsi les FARCs ont réussi à installer leur présence mamelère au sein de la République Française.

Ingrid, ton image est aux mains de tes adorateurs, ton corps est aux mains de tes ravisseurs. Ingrid Bétancourt, comment vas-tu ?

Ces guerriers sanguinaires n’ont pas abdiqué devant leur plus fervents opposants : les publicitaires de France. L’Oréal, qui contribuait pourtant depuis des années à l’effort de guerre publicitaire en côtisant plein pot, se trouve empêtré dans la crème de visage. Renault restera au parking... Les Vrais seigneurs de la guerre recouvrent nos horizons d’une aura magique, comme la neige sur une déchetterie. Il faut l’avouer, les FARCs sont des pros du marketing, ils tiennent en France un marché captif.

Les emblèmes des autres luttes font bien petite mine à côté de la grande Ingrid.
A peine, certaines sirènes, ont réussi furtivement à se hisser devant nos paupières épleurées, telle Florence Aubenas, telle Françoise Claustre.

Et si on ne peut que s’indigner d’un tel rapt, la détenue déclenche tout de même un émoi dans nos petits fantasmes élimés, comme si les FARCs avaient su faire exulter notre appétit d’aventure, nos instincts sauvages. Une telle épopée n’est ni poudre aux yeux, ni poudre au nez. C’est la véritable histoire de l’enlevée.
Le visage d’Ingrid, si délicatement posé sur sa main. Ces yeux qui nous transpercent de leur fine lumière. Cette femme qui vit dans les zones de non droit en Colombie. Tout nous bouleverse chez la Prisonnière, désormais héroïne des temps contemporains.

Alors FARCs, vos méthodes sont barbares, mais vos goûts sont raffinés...

Tiens ça me rappelle quelque chose...

Comment cela finira-t-il ? Nul ne le sait.
Selon les mythographes, Hélène à la fin de sa vie aurait été transportée dans une "Ile blanche" (Leukè) interdite aux mortels, où elle récitait les vers d’Homère.
On espère une fin au moins aussi poétique pour Ingrid.
Heureuse, qui comme Ingrid, est revenue vivre entre les siens le reste de son âge...


[1Voir L’Humanité du Mardi 27 juin 2006